Se préparer au réajustement des portefeuilles
Les turbulences sur les marchés obligataires ont éprouvé la détermination des investisseurs alors que les marchés obligataires glissent vers un environnement davantage axé sur l’inflation, après s’être pendant des années focalisés sur la croissance économique. Dans le premier de nos quatre articles révélant comment les investisseurs peuvent réajuster leurs allocations obligataires et éclairer le positionnement de leurs portefeuilles, nous explorons plusieurs pistes pour se protéger contre la volatilité.
Points à retenir :
- Les investisseurs tentent de s’adapter à une évolution volatile des marchés obligataires, de la croissance vers l’inflation
- Le message de la Fed, à savoir que le principal risque extrême pour les décideurs politiques reste l’inflation, et non la croissance, a précipité les dernières baisses des cours obligataires
- Face aux turbulences sur les marchés obligataires, des stratégies associant des obligations au comptant à des contrats à terme et des options permettant de se prémunir contre la volatilité des taux et des spreads peuvent être envisagées
- Les obligations à taux variable aideront les investisseurs en quête d’une exposition au crédit à mieux se protéger face à la hausse des taux
L’année 2022 restera dans les mémoires comme celle d’un changement de régime sur les marchés obligataires. Les économies avancées sont entrées dans une phase de chocs inflationnistes nous rappelant les crises pétrolières des années 70. L’inflation n’avait plus fait l’objet d’une telle attention depuis la fin des années 90. Mais elle est revenue sur le devant de la scène en 2022 du fait de la dépendance des politiques monétaires et des marchés aux vicissitudes de la hausse des prix. Le retour à un régime qui pourrait pour certains paraître hostile a infligé aux indices obligataires des pertes historiquement élevées. Pour l’heure, le nombre de marchés de la dette publique susceptibles d’offrir la moindre protection aux investisseurs est proche de zéro (Figure 1).
La débâcle a eu l’effet d’un véritable séisme pour la plupart des investisseurs. D’aucuns s’étaient accoutumés à la tendance de ces 20 dernières années qui a vu les marchés associer des taux plus élevés (ou plus bas) à des hausses (ou des baisses) de la production économique et de l’emploi. Dans un tel régime axé sur la croissance, les obligations considérées comme relativement sûres offrent généralement une protection efficace face aux actifs plus risqués. L’environnement actuel fait plutôt écho à la période antérieure à 2000, lorsque la crainte de l’inflation régnait en maître absolu et poussait les taux à la hausse. À l’époque, comme aujourd’hui, les perspectives des obligations et des actions tendaient à s’éclaircir avec la baisse des prix à la consommation et l’assouplissement de la politique monétaire, avant de pâtir de la hausse de l’inflation et des taux.
Par conséquent, alors que les refuges se font rares sur les marchés obligataires, dans quelle direction les investisseurs doivent-ils se tourner pour trouver les bonnes pistes ?
La mauvaise nouvelle est que, au coeur du régime actuel centré sur l’inflation, rien de ce que l’on a observé ces derniers mois ne permet d’obtenir de meilleures indications sur le moment auquel ce cycle chahuté pourrait amorcer un tournant, ni sur la manière dont cela se produira. Il est à ce stade hasardeux de restreindre le champ des issues économiques et politiques possibles. Toutefois, la bonne nouvelle est qu’en corollaire, quatre thèmes intéressants émergent et pourraient permettre de réajuster les allocations obligataires et d’éclairer le positionnement du portefeuille pour le reste de l’année 2022. Nous aborderons ces différents thèmes dans une série d’articles, en commençant par la manière dont les investisseurs peuvent protéger leurs portefeuilles contre la volatilité des marchés.
Figure 1 : un véritable séisme sur le marché obligataire
Source : Bloomberg. Indices ICE BofA et JP Morgan ; Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022. Performances des indices en USD (non couverts), à l'exception des indices Euro. Le rendement au pire (« Yield to worst ») ajuste à la baisse le rendement actuariel des obligations d'entreprises « rappelables » (potentiellement remboursables à des dates prédéterminées avant maturité). La duration effective tient également compte de l'effet de ces « options d'achat ». Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs. Voir les informations à la fin du document pour les indices de substitution sous-jacents.
2022 : une année noire ou l’heure de réajuster les portefeuilles ?
Les auteurs de ces pertes exceptionnelles sur les marchés obligataires ont quelque peu évolué au cours de l’année. Les replis du premier trimestre découlaient pour l’essentiel de la sensibilité des obligations à la hausse des taux d’intérêt, connue sous le nom de risque de duration.2 Les rendements ont augmenté de concert pour les emprunts d’État relativement sûrs et les obligations d’entreprises et souveraines plus risquées. Au deuxième trimestre, la perception d’une augmentation du risque de crédit a entraîné de nouvelles pertes ; l’écart entre les rendements plus sûrs et plus risqués, appelé « spread de crédit », a commencé à s’élargir du fait de la baisse des rendements des premiers et de la hausse des seconds.
Les marchés obligataires ont ensuite connu un bref répit estival en juillet et jusqu’à la mi-août, avec à la clé de solides gains3. Obéissant à la même logique que celle observée plus tôt dans l’année, mais en sens inverse, le risque de duration s’est d’abord atténué en juillet. Face à la probabilité accrue d’une récession, les marchés ont revu à la baisse leurs anticipations de hausse des taux, entraînant une décrue plus généralisée des rendements. Et dans une certaine mesure, la première moitié du mois d’août a été le reflet du deuxième trimestre. Les gains supplémentaires s’expliquent par le fait que les spreads ont récupéré plus de la moitié de leur élargissement depuis le début de l’année, la prime de rendement que les investisseurs exigent de la dette plus risquée ayant diminué.
Mais un revirement s’est produit au cours de la seconde quinzaine d’août. Les prix des obligations ont à nouveau chuté4, cette fois-ci sous l’effet du risque de duration et de spread, notamment après le discours de Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed), lors du rassemblement annuel des banquiers centraux à Jackson Hole. Le message envoyé est sans équivoque. C’est bien l’inflation, et non la croissance, qui constitue le principal risque résiduel auquel sont confrontés les responsables de la politique monétaire, ce qui devrait maintenir les taux américains à un niveau élevé pendant un certain temps.
Le renchérissement marqué du dollar américain par rapport à la plupart des autres devises est une autre conséquence du régime actuel, et un facteur de performance relativement constant cette année pour les portefeuilles d’obligations mondiales. L’appréciation du dollar explique une part importante de la performance totale négative enregistrée par les indices obligataires mondiaux en dollars (non couverts), car les obligations contenues dans les indices et émises dans d’autres devises ont perdu plus de valeur lors de leur conversion en dollars. Comme on pouvait s’y attendre, le coût de la couverture des fluctuations des taux de change face au dollar s’est également envolé, en particulier pour ceux qui n’investissent pas en dollars et qui pourraient être amenés à réévaluer en permanence leurs actifs libellés en dollars dans leur devise locale..
Des moyens de se protéger contre la volatilité des taux et des spreads
Les marchés obligataires restent très volatils et très instables. Les indicateurs de la volatilité anticipée et réalisée des obligations se sont repliés par rapport à leurs récents sommets de juillet5(Figure 2). Toutefois, la volatilité implicite des options à un mois pour les rendements du Trésor américain à la fin du mois d’août était encore supérieure d’environ 50 % à celle du début de l’année 2022.6Il en va de même pour la volatilité réalisée à un mois des obligations d’État mondiales notées « investment grade ». Le rebond des indices de référence incluant des obligations d’entreprises de même notation était encore moins prononcé à la fin de l’été, leur volatilité réalisée à un mois s’avérant supérieure de 90% à celle observée en janvier.7
La volatilité réalisée de ces indices de référence investment grade s’est encore accentuée durant la débâcle du marché en 2020, un resserrement extrême de la liquidité touchant à la fois les actifs investment grade et les actifs plus risqués. Pour autant, la volatilité des titres investment grade a dépassé cette année les points hauts enregistrés durant la crise financière mondiale de 2008-2009.8 La volatilité des obligations dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers a été beaucoup plus influencée par les spreads de crédit dans un contexte de remontée des risques de défaut et de baisse des taux. Cette fois, les choses sont différentes. Les marchés doivent faire face à une combinaison de risques de taux et de crédit plus élevés.
Figure 2 : volatilité réalisée (sur 30 jours) des obligations investment grade internationales et volatilité implicite des options (30 jours à l'avance) pour les bons du Trésor américain
Source : indices Bloomberg et ICE BofA. Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022. Performances de l'indice en USD (couvert). La volatilité réalisée (sur 30 jours) est annualisée. IG = obligations notées Investment Grade. L'axe de droite représente la valeur du MOVE, un indice pondéré par la courbe des taux de la volatilité implicite normalisée des options sur bons du Trésor à 1 mois sur les contrats à 2, 5, 10 et 30 ans au cours des 30 prochains jours. Une valeur du MOVE plus élevéereflète un prix plus élevé des options. Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs. Voir les informations à la fin du document pour les indices de substitution sous-jacents.
Une inflation imprévisible et des taux en hausse
L’évolution de la situation dépendra en grande partie de l’inflation. Mais celle-ci reste bien trop élevée et difficile à prévoir en raison des difficultés exceptionnelles rencontrées sur la chaîne d’approvisionnement, le marché du travail et sur le plan géopolitique. En dehors des secteurs les plus sensibles aux taux, tels que le logement, la plupart des dommages collatéraux infligés aux ménages, aux entreprises et aux finances nationales découlent toujours de l’inflation, et non des coûts d’emprunt. Même lorsque l’inflation mensuelle commence à se stabiliser, comme dans le cas de l’inflation globale américaine pour le mois de juillet, le chemin à parcourir est encore long. Il faudra encore une foule de données mensuelles consécutives nulles ou en baisse avant que l’inflation en glissement annuel ne s’approche de la fourchette basse à un chiffre. Seul un choc déflationniste majeur, tel qu’une fermeture due à une pandémie, pourrait freiner l’inflation plus rapidement.
Les banques centrales semblent prêtes à continuer de relever leurs taux d’intérêt afin de faire baisser la demande globale jusqu’à la « rupture ». Nous n’en sommes pas encore là. Les taux de chômage aux États-Unis et en Europe sont proches de leurs niveaux les plus bas, et il faudrait qu’ils augmentent de plusieurs points de pourcentage pour entraîner une récession qui aille au-delà des contractions techniques des indicateurs de la croissance du PIB et de l’activité économique. Nous ne pouvons pas prédire avec certitude à quel moment le niveau des taux d’intérêt sera à nouveau déterminé par les craintes de récession plutôt que par l’inflation. Les responsables de la politique monétaire n’en savent pas davantage et ont renoncé à la guidance prospective au profit d’une approche réactive aux données. Les marchés ne sont pas habitués à une politique sans engagement et pourraient très bien atteindre de nouveaux sommets de volatilité au moment de la publication de statistiques et de décisions politiques majeures.
Instabilité à prévoir autour de la solvabilité
Une autre raison pour laquelle nous pourrions assister à des épisodes répétés de chocs de la volatilité dans les mois à venir est que le retournement du cycle du crédit après la pandémie est à peine amorcé. La généralisation des difficultés de refinancement pourrait prendre plus de temps à se manifester cette fois-ci, car les émetteurs les plus risqués en ont profité ces dernières années pour prolonger l’échéance de leur dette à des taux plus avantageux. Une baisse des bénéfices sera le prélude à une détérioration de la solvabilité de nombreuses entreprises. Selon certaines estimations, près de la moitié des entreprises composant l’indice S&P 500 affichent une croissance négative de leur chiffre d’affaires corrigé de l’inflation. Les bénéfices pourraient également pâtir des conditions de crédit moins favorables accordées aux clients. Plusieurs enquêtes sur les prêts bancaires ont commencé à pointer dans cette direction.
Des idées d’investissement en périodes de volatilité
Pour les investisseurs à long terme adeptes du « buyand- hold », les pertes non réalisées historiques essuyées par les allocations obligataires ont été particulièrement frustrantes dans la mesure où elles sont jusqu’à présent imputables aux taux et aux spreads plutôt qu’à des défauts généralisés. Pourtant, la montée de l’inflation fait actuellement des liquidités une alternative très coûteuse. Dans quelle direction faut-il alors se tourner ?
- Les obligations à court terme et à notation élevée émises par des États et des entreprises constituent une alternative, mais elles pourraient ne pas suffire à atténuer la volatilité du portefeuille dans la mesure où l’extrémité courte des courbes de taux reste in fine vulnérable à de nouveaux chocs liés à la revalorisation des taux terminaux à court terme.
- Dès lors qu’une augmentation drastique du bêta des portefeuilles semble encore prématurée, il nous paraît opportun d’associer des obligations au comptant à court terme à taux fixe avec des contrats à terme et des options sur taux d’intérêt et des indices de dérivés de crédit, de manière à atténuer quelque peu la volatilité des taux et des spreads. Ces stratégies de couverture peuvent naturellement s’avérer coûteuses, tant au niveau des dépenses que de la performance. Un décalage entre les positions du portefeuille et les composantes des instruments de couverture disponibles n’est par ailleurs pas à exclure. Une gestion active des positions de couverture est essentielle dans la mesure où celles-ci ne peuvent que partiellement compenser, voire accroître, les pertes sur le volet des obligations au comptant d’un portefeuille.
- Les obligations à taux variable, qui surperforment les autres marchés obligataires depuis le début de l’année, peuvent constituer une alternative dans le cadre d’une allocation obligataire au comptant. Les obligations à taux variables sont émises principalement par des institutions financières et des entreprises notées « investment grade » et elles offrent des coupons qui s’ajustent avec un certain décalage périodique aux changements des taux de référence à court terme. Elles sont également assorties d’une prime de rendement supplémentaire et supérieure à ces taux de référence afin de compenser la possibilité que leurs prix chutent en raison du risque de crédit. Aussi les investisseurs souhaitant s’exposer au crédit peuvent-ils bénéficier d’une meilleure protection contre la hausse des taux. Gardons à l’esprit que les rendements des obligations à taux variable sont généralement inférieurs à ceux des obligations d’entreprises à taux fixe. Il faudrait donc plusieurs relèvements de taux consécutifs pour que les rendements des titres à taux variable commencent à rattraper leur retard. Qui plus est, leurs prix peuvent chuter en cas de détérioration des perspectives économiques et de la solvabilité des émetteurs.
Dans la mesure où la volatilité actuelle des marchés ne montre aucun signe de modération, nous ne pouvons que conseiller aux investisseurs de protéger leurs portefeuilles des intempéries alors que la transition vers un régime axé sur l’inflation promet la persistance de conditions difficiles.
1 Source: L’inflation aux États-Unis a atteint environ 14% en 1980, selon les données publiques de la Réserve fédérale de St Louis.
2 Les pertes de duration reflètent deux types de risques. Le coût d’opportunité associé à la détention d’obligations dont le rendement est inférieur
à celui du marché est plus élevé en période de montée des taux. L’explication est la suivante : ces obligations génèrent des flux de trésorerie
inférieurs à ceux d’obligations comparables, mais nouvellement émises et offrant des coupons plus élevés, qui pourraient alors être réinvestis dans
des actifs plus rémunérateurs (risque de réinvestissement). Par conséquent, si les détenteurs d’obligations devaient vendre avant l’échéance pour
une raison quelconque (risque de désinvestissement), les acheteurs paieraient moins que la valeur nominale de l’obligation à l’échéance - ce qui
ferait augmenter la prime de rendement de l’obligation de manière à correspondre au taux d’intérêt fixe plus élevé offert à ce moment-là par des
obligations comparables en raison de la hausse des taux.
3 Source : Bloomberg, indices ICE BofA et JP Morgan, Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022
4 Source : Bloomberg, indices ICE BofA et JP Morgan, Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022
5 Source : indices Bloomberg et ICE BofA, Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022
6 Source : indices Bloomberg et ICE BofA, Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022
7 Source : indices Bloomberg et ICE BofA, Allianz Global Investors. Données au 31 août 2022
8 Source : calculs d’Allianz Global Investors sur la base des indices Bloomberg et ICE BofA