Le supercycle de la dette mondiale

09/04/2019
Le supercycle de la dette mondiale

Résumé

Au cours des deux dernières années, de grandes institutions internationales comme le FMI (Fonds monétaire international), l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ou la BRI (Banque des règlements internationaux) ont souligné à plusieurs reprises l'endettement croissant de l'économie mondiale. Il convient donc, plus de dix ans après l'éclatement de la Crise financière mondiale (CFM), de faire le point sur le supercycle de la dette mondiale. Nous allons donc nous pencher sur les niveaux d'endettement, la dette en dollars américains à l'extérieur des États-Unis, ainsi que les secteurs qui sont prêteurs ou emprunteurs. Enfin, nous tâcherons d’identifier les conséquences de la situation actuelle pour la croissance et les marchés financiers.


Update Magazine I/2019
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Dans quelle mesure la dette mondiale a-t-elle augmenté ?

L'endettement global de tous les secteurs, à savoir le secteur public, les ménages privés, les sociétés non financières et le secteur financier, a continué d'augmenter après la Crise financière mondiale. Représentant 298% du PIB mondial, il est désormais proche du niveau record de 2009 (303%) et nettement supérieur à celui observé en 2006 (279%), à la veille de la grande crise financière. Dans les pays développés, le ratio d’endettement total a reculé depuis le pic enregistré il y a dix ans. Cependant, il progresse à nouveau depuis 2014 et s'établit maintenant à 340% du PIB. En ce qui concerne les marchés émergents, l'endettement total atteint 228% du PIB, soit une hausse d'environ 2/3 depuis 2006.

Si l'on examine l'endettement des secteurs économiques à l'échelle mondiale, on constate qu’il a continué d'augmenter dans le secteur privé non financier (ménages et entreprises privés) et dans le secteur public, pour atteindre de nouveaux sommets historiques. Il a en revanche diminué dans le secteur financier après la crise financière mondiale (voir graphique A/).

Une partie de cette dette n’a pas été émise en devise locale. La dette libellée en dollar US hors des États-Unis a notamment doublé au cours de la décennie écoulée, aussi bien dans les pays développés qu’au sein des économies émergentes. Elle s’élève désormais à environ 11 500 mds USD.

Les ratios dette/PIB en USD tutoient, voire atteignent aujourd’hui des sommets inédits depuis plusieurs décennies dans les marchés développés et émergents (voir graphique B/ et C/). De manière incontestable, cette situation place les emprunteurs dans une position inconfortable en période de hausse des taux d'intérêt américains et de dollar fort. Plutôt généralisée, l'augmentation de la dette en dollars ne peut être exclusivement imputée à quelques pays comme la Turquie ou l'Argentine, qui ont vu leur devise s'effondrer en 2018.

Un autre aspect mérite d’être souligné : si les banques demeurent bien entendu les principaux prêteurs, les institutions financières non bancaires comme les compagnies d'assurance, les fonds de pension, les fonds d’investissement, les hedge funds, les fiducies chinoises, les fonds de private equity, les courtiers, les REIT, les institutions financières captives, les entités ad hoc et d’autres ont récupéré une part du marché. Cette situation a-t-elle renforcé ou fragilisé le système financier ? Sans conteste, un recul de l’endettement du secteur financier constitue, en soi, une évolution encourageante. Cependant, certains « nouveaux acteurs » du marché du crédit sont fortement endettés et moins réglementés (notamment les hedge funds) et nous en savons peu sur leur interdépendance. Les prochaines périodes de tensions sur les marchés financiers pourraient donc voir émerger des dynamiques imprévisibles.

A/ ENDETTEMENT MONDIAL PAR SECTEUR ÉCONOMIQUE

ENDETTEMENT MONDIAL PAR SECTEUR ÉCONOMIQUE

Source : AllianzGI, BRI, Datastream, données au T1 2018

B/ DETTE LIBELLÉE EN DOLLAR US HORS DES ÉTATS-UNIS, EN % DU PIB

DETTE LIBELLÉE EN DOLLAR US HORS DES ÉTATS-UNIS, EN % DU PIB

Source : AllianzGI, BRI, FMI, IIF, données au T2 2018

Les ratios dette/PIB en USD tutoient, voire atteignent aujourd’hui des sommets inédits depuis plusieurs décennies dans les marchés développés et émergents.

C/ DETTE ÉMERGENTE LIBELLÉE EN DOLLAR US, EN % DU PIB

DETTE ÉMERGENTE LIBELLÉE EN DOLLAR US, EN % DU PIB

Source : AllianzGI, FMI, IIF, données au T2 2018

Où est passé tout cet argent ?

Commençons par examiner le plus grand marché de dette au monde : les États-Unis. Bien que l'endettement ait globalement diminué, la dette du secteur des entreprises non financières a considérablement augmenté pour atteindre 73% du PIB (voir graphique D/), soit un niveau similaire au précédent record, atteint en 2009, et nettement supérieur au niveau de 64% observé fin 2006. Cette évolution s'explique dans une large mesure par les rachats d'actions financés par endettement. En période de forte croissance économique et de faibles spreads et taux d'intérêt, la hausse de l’endettement n’était pas problématique. Aujourd’hui, nous approchons de la fin du cycle économique et les spreads se sont élargis depuis le début 2018, dans le sillage des hausses de taux de la Fed et de la volatilité en découlant sur les marchés. Il reste à voir si la récente inflexion de la politique de la Fed, consécutive à une série de données cycliques moins favorables, apaisera les inquiétudes des marchés.

D’une part, le montant de la dette des entreprises américaines a augmenté. Mais parallèlement, la qualité de la dette s'est également détériorée : la part des obligations notées BBB excède actuellement 40% du volume total des obligations en circulation. De plus, le marché des leveraged loans, autrement dit des prêts aux entreprises fortement endettées, est désormais aussi dynamique qu'en 2006/2007 et plus important que le segment des obligations high yield. Il convient également de noter que les prêteurs sont moins protégés que par le passé. Les prêts dits « covenant-lite » représentent désormais environ 80% de toutes les obligations – un fait que l'ancienne présidente de la Fed, Janet Yellen, a souligné il y a quelques mois.

Dans de nombreuses autres économies, la hausse de l’endettement est associée à un marché immobilier en plein essor. C'est particulièrement vrai pour les pays qui n'ont pas (ou pas sévèrement) été touchés par la Crise financière mondiale. Citons entre autres la Chine, la Turquie, le Mexique, la Malaisie, le Canada, la Suède, la Norvège, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et Hong Kong. Selon nous, cette situation est la conséquence involontaire des politiques monétaires ultra-accommodantes menées aux États-Unis et en Europe : la faiblesse des taux directeurs des banques centrales et les injections massives de liquidités ont pesé sur les rendements des marchés mondiaux, ce qui a stimulé la demande de crédit et de biens immobiliers dans les économies où le secteur privé n'a pas eu à subir un douloureux ajustement des bilans il y a dix ans.

D/ ENDETTEMENT ET COUVERTURE DES INTÉRÊTS DU SECTEUR PRIVÉ NON FINANCIER AMÉRICAIN

ENDETTEMENT ET COUVERTURE DES INTÉRÊTS DU SECTEUR PRIVÉ NON FINANCIER AMÉRICAIN

Source : AllianzGI, Datastream, données au T3 2018

Hausse de l’endettement – et alors ?

La question essentielle est la suivante : l'augmentation de l'endettement est-elle problématique et, dans l'affirmative, sous quelles contraintes et dans quelle mesure ? Afin de répondre à cette question, nous ferons appel au concept de « cycles financiers » (CF), formulé par la Banque des règlements internationaux (BRI) après la Crise financière mondiale.

Le CF mesure la santé de l’économie à moyen et long terme à l'aune de la dynamique conjointe de la croissance du crédit (voir graphique E/) au sein du secteur privé non financier et des prix immobiliers. Les CF sont nettement plus longs que les cycles économiques, qui saisissent les hauts et les bas du PIB réel. Le CF moyen s’étend sur 16 ans (6 ans de contraction et 10 ans d'expansion), tandis que la durée moyenne d'un cycle économique est de 5 ans (voir graphique F/). Techniquement, le CF peut être calculé de différentes manières, qui conduisent toutes à des résultats très similaires. L'approche que nous avons choisie n’est pas parfaitement identique, mais très proche de celle utilisée par la BRI. Nous calculons le score z moyen de l'écart de crédit, autrement dit le ratio dette du secteur privé non financier/PIB par rapport à la tendance, et l'écart des prix immobiliers réels par rapport à la tendance (voir graphique G/).

Nos travaux empiriques pour les économies développées et émergentes confirment globalement les résultats de la BRI pour un échantillon plus restreint (voir graphique H/).

En période d'expansion du CF, c'est-à-dire lorsque les prix immobiliers et l'endettement du secteur privé augmentent, les économies ont tendance à bénéficier d'un contexte structurellement favorable. Il convient de noter qu’un CF en expansion n'exclut pas les récessions. Toutefois, comparativement aux périodes de contraction du CF, les récessions sont moins probables, moins marquées et moins longues. Cela se comprend de manière intuitive : alors qu’elles constituent souvent le bien le plus important d’un ménage, les maisons sont généralement financées par l'emprunt. En conséquence, un CF en expansion indique une amélioration des bilans des ménages et une expansion générale de l'économie. La récession peu marquée enregistrée par les États-Unis en 2001 constitue un bon exemple de récession en période d'expansion cyclique. Inversement, lorsque les prix de l'immobilier baissent et que les banques freinent la croissance du crédit, autrement dit en période de contraction du CF, les récessions ont tendance à être longues et marquées. À cet égard, la Crise financière mondiale est la version la plus sévère d'une récession en période de contraction du CF (nous avons analysé la relation entre les CF et les récessions uniquement pour les marchés développés).

Une autre constatation importante s’impose : aux alentours du pic du CF, il existe une probabilité d'environ 2/3 qu'un pays soit confronté à une crise financière, que cette dernière prenne la forme d’une crise bancaire, d’une crise de la dette souveraine ou d’une crise de change. Parmi les 36 crises que nous avons identifiées, toutes sauf deux se sont produites à proximité du pic du CF dans le pays concerné.

E/ PERFORMANCE DES PRIX IMMOBILIERS ET ÉVOLUTION DE L’ENDETTEMENT DU SECTEUR PRIVÉ

PERFORMANCE DES PRIX IMMOBILIERS ET ÉVOLUTION DE L’ENDETTEMENT DU SECTEUR PRIVÉ

Source : AllianzGI, BRI, Datastream, Statut Q1 2018

F/ CYCLE FINANCIER ET CYCLE ÉCONOMIQUE – QUELQUES OBSERVATIONS
CYCLE FINANCIER ET CYCLE ÉCONOMIQUE : LES FAITS

CYCLE FINANCIER ET CYCLE ÉCONOMIQUE : LES FAITS

Source : AllianzGI, BRI, The Economist, OCDE, Datastream, FMI
Légende : le cycle financier est calculé à partir du score z moyen du ratio dette privée non financière/PIB (écart de crédit) et des prix immobiliers réels par rapport à la tendance. Calculs du CF pour 14 économies développées (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Espagne, Portugal, Suisse, Suède, Norvège, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande) et 12 (anciennes) économies émergentes (Brésil, Mexique, Turquie, Israël, Russie, Chine, Corée, Malaisie, Thaïlande, Inde, Singapour, Hong Kong) depuis les années 1970 ou après, selon les données disponibles. Analyse du cycle économique uniquement pour les économies développées. Les données sur les récessions survenues à différents stades du cycle financier indiquent la variation moyenne du PIB réel d'un pic à un creux, ainsi que le nombre moyen de trimestres durant lesquels le PIB demeure inférieur au pic du cycle précédent.

G/ CF EN EXPANSION DANS LES GRANDES ÉCONOMIES DÉVELOPPÉES

CF EN EXPANSION DANS LES GRANDES ÉCONOMIES DÉVELOPPÉES

Source : AllianzGI, BRI, Datastream, données au T1 2018
Légende : le cycle financier est calculé à partir du score z moyen du ratio dette privée non financière/PIB (écart de crédit) et des prix immobiliers réels par rapport à la tendance. Le cycle financier des groupes de pays correspond à la moyenne pondérée par le PIB des cycles financiers individuels ; Europe = DEU, FRA, ITA, SPA, NET, POR, IRE ; Marchés développés ouverts mineurs = CAN, SWE, CHE, NOR, AUS, NZL ; Tigres asiatiques = HKG, SGP, KOR, THA ; Autres marchés émergents majeurs = BRA, MEX, RUS, TUR, ISR, ZAF, IND

H/ PIC OU CONTRACTION DU CF DANS CERTAINS MARCHÉS DÉVELOPPÉS ET ÉMERGENTS

PIC OU CONTRACTION DU CF DANS CERTAINS MARCHÉS DÉVELOPPÉS ET ÉMERGENTS

Source : AllianzGI, BRI, Datastream, données au T1 2018
Légende : le cycle financier est calculé à partir du score z moyen du ratio dette privée non financière/PIB (écart de crédit) et des prix immobiliers réels par rapport à la tendance. Le cycle financier des groupes de pays correspond à la moyenne pondérée par le PIB des cycles financiers individuels ; Europe = DEU, FRA, ITA, SPA, NET, POR, IRE ; Marchés développés ouverts mineurs = CAN, SWE, CHE, NOR, AUS, NZL ; Tigres asiatiques = HKG, SGP, KOR, THA ; Autres marchés émergents majeurs = BRA, MEX, RUS, TUR, ISR, ZAF, IND

À quel stade se situent actuellement les CF dans le monde ?

Au sein des économies développées à l'origine de la Crise financière mondiale (États-Unis, Royaume-Uni, zone euro) ou l’ayant subie de plein fouet (Japon), le CF est en expansion. Il en va de même pour la Nouvelle-Zélande. Bien que nous ne puissions exclure une récession aux États-Unis, en Europe ou au Japon au cours des deux prochaines années (certains de nos modèles indiquent un risque de récession croissant), toute récession éventuelle sera probablement modérée. En revanche, il est nécessaire de garder à l’esprit que la politique monétaire est à court de munitions, les taux nominaux et réels des banques centrales étant encore bas dans les principales économies développées. En outre, il serait techniquement et juridiquement très compliqué de gonfler à nouveau les bilans des banques centrales. Sans compter que la marge de manoeuvre dont dispose la politique budgétaire pour prendre le relais est également limitée, en raison du niveau déjà élevé de la dette publique.

À l’inverse, le CF approche ou a déjà atteint des sommets dans plusieurs économies asiatiques, dont la Chine, ainsi que dans des économies développées ouvertes mineures ayant échappé aux répercussions de la Crise financière mondiale il y a dix ans, parmi lesquelles le Canada, l’Australie, la Norvège et la Suisse. Dans plusieurs pays émergents majeurs (Brésil, Russie, Inde, Turquie), ainsi qu'en Suède, le CF est clairement en contraction. Nous anticipons donc des difficultés structurelles pour la croissance économique dans les pays susmentionnés. En outre, ces pays sont confrontés à des risques accrus de tensions au sein du système financier.

En conclusion : des niveaux d'endettement élevés demeurent une source importante de risque pour la croissance et les marchés financiers, ce qui justifie une gestion des risques appropriée et une couverture des risques extrêmes. Néanmoins, par rapport à la situation antérieure à la Crise financière mondiale, le CF est aujourd’hui solide dans les grandes économies développées, ce qui nous rassure dans une certaine mesure.

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10 ans plus tard : perspectives pour une gestion des risques viable

09/04/2019
10 ans plus tard : perspectives pour une gestion des risques viable

Résumé

Lorsque la société Lehman Brothers a été contrainte de se déclarer en faillite, le matin du 15 septembre 2008, la tempête qui soufflait sur les marchés financiers mondiaux depuis 2007 (déclenchée par les crédits « subprime » américains) s’est transformée en véritable ouragan. Des institutions telles que Fannie Mae, Freddy Mac et AIG – première compagnie d’assurance mondiale à l’époque – se sont effondrées et ont nécessité un plan de sauvetage public. En 2009, le FMI estimait que les banques américaines et européennes avaient subi des pertes liées aux prêts et actifs toxiques dépassant 1 000 mds USD entre 2007 et septembre 2009 et que ce chiffre serait multiplié au moins par deux en 2010. Toujours en 2009, rares étaient les prévisionnistes professionnels conscients qu’au mois de mars, l’indice MSCI World avait entamé la plus longue phase de hausse de son histoire, phase de hausse qui dépasse aujourd’hui 10 ans. Des évolutions considérables ont été observées au cours de cette décennie, non seulement dans la politique des banques centrales, mais aussi dans l’architecture du système financier mondial. Comment les approches de gestion des risques ont-elles évolué dans le secteur de l’investissement au cours de cette période, et quels sont les défis qui nous attendent dans les prochaines années ?

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